Monday, December 28, 2015

La culture pour contrer le FN

La culture pour contrer le FN

Saint-Loup-sur-Semouse est une commune de Haute-Saône, en Bourgogne-Franche-Comté, ayant voté majoritairement Front National après avoir été socialiste depuis 2004. Selon le maire de la ville, Thierry Bordot, le manque de culture et la misère sociale ont grandement contribué à la montée des extrêmes dans cette commune de 3 500 habitants.

Mairie de Saint-Loup-sur-Semouse - © Marguerite Gallorini

Saint Loup a voté à 35% pour le FN au deuxième tour. Etes-vous surpris de ces résultats ?

Pas du tout. On commençait déjà à sentir des signes avant-coureurs, surtout depuis 2002 qui a été un tournant : du moment où Le Pen est passé au deuxième tour des présidentielles, les langues se sont déliées et on ne se cachait plus d’être Front National. Certes, aux régionales de 2010 Saint-Loup était encore PS, mais on commençait déjà à voir le FN monter et monter. Maintenant, les gens d'extrême-droite ne se cachent tellement plus de leur position qu'on pourrait quasiment les recenser à l'aide d'une carte !

Pouvait-on s’attendre à ce que le revirement républicain du deuxième tour n'affecte pas Saint-Loup ?

On a bien senti cet élan ici aussi, si, le PS est arrivé deuxième grâce à cela : le taux de participation est passé de 41 à 51%, plus élevé que celui de 2010 de 46%. Mais ça n’a pas suffi. Le danger avec les appels à « voter utile », c’est qu’on ne peut pas prévoir pour qui les gens vont voter… La preuve en est que le FN est resté en première place dans de nombreux villages de notre communauté, qui comprend 42 communes. Saint-Loup n’est pas la pire, bien qu’ayant voté à 35% pour le FN : trois ou quatre communes on voté à gauche, trois ou quatre à droite, et tout le reste a viré au FN, certaines avec plus de 50% des voix (ndlr : la commune de Ainvelle a par exemple voté FN à 52%).

La question de l'immigration à Saint Loup a-t-elle joué un rôle dans ces résultats extrêmes ?



Il existe effectivement une vraie fracture communautaire ici, révélée une fois de plus après 2002. Mais elle touche surtout les communes où il y a peu ou pas d’immigration, justement ; où les gens vivent plutôt confortablement, et où la seule source de jugement provient du JT de 20h. L’immigration, ils la vivent tous les jours à travers leur télévision, et leur sentiment d’abandon en est renforcé. C’est très schématique tout ça, mais la déficience culturelle dans nos régions joue un rôle crucial, et agrandit le sentiment d’abandon des communautés reculées. Il est vrai que nous nous trouvons dans une région très pauvre, et mal desservie. C’est pour ça que le discours du FN marche aussi bien – c’est un pur discours de marchand de sable, qui vise les racistes convaincus, et qui ne sont au final que des gens en perdition et désabusés de la politique traditionnelle – c'est pourtant elle qui devrait se remettre en cause avec de tels résultats ! Mais on ne peut pas grand-chose au niveau local, un vrai changement ne peut venir que des grands partis financés eux-mêmes par l'Etat ; mais personne ne va scier la branche sur laquelle ils reposent. Donc avec les moyens qui me sont attribués, j'essaie tant bien que mal de contrer ce discours de marchand de sable.

Quel genre de mesures concrètes cela implique-t-il à votre niveau local, pour enrayer ce phénomène ? 
 
Je tiens à souligner que, selon moi, c’est par la culture et la communication qu’on peut contrer cela – le dialogue, c’est de la culture aussi. Mais ça va être un travail de longue haleine, et on en aura pour un bon moment. Pour vous donner un exemple, on voudrait créer une médiathèque intercommunale basée à Saint-Loup. Si le financement n’était que le problème de ce projet, ce serait bien ; mais le problème principal vient des deux tiers des élus eux-mêmes, qui me répondent « à quoi ça sert ? » ; « on a d’autres priorités ». Il n’y a pas d’ouverture, pas de maturité de leur part. Chacuns se retranchent derrière leurs craintes, et aucun dialogue n’est créé, seulement une polarisation des positions de chaque côté.

Comment amener ce dialogue ?

La relation à l’autre devrait être une priorité. Après les attentats de janvier, on voulait tous créer des ponts entre les communautés… et puis tout ça est retombé dès février. Aujourd’hui, il est encore un peu tôt pour dire cela des attentats de novembre, ceci dit les élections ont eu ce bon côté de mettre véritablement le doigt là où ça fait mal. J’ai rendez-vous mi-janvier avec les responsables de la mosquée pour parler d’idées de manifestation commune. Je pense par exemple à une sorte de conférence pour expliquer les fondements de l’islam, ou bien expliquer la radicalisation – afin de différencier les deux, et de poser leurs fondements qui ne sont pas les mêmes. Il faut placer ces repères en premier lieu, pour ensuite créer un dialogue qui soit cohérent. Ce genre de manifestation doit se passer absolument au niveau local, au-delà du national – pour que les gens se rencontrent vraiment, et arrêtent de fantasmer à travers l’écran du JT. Si des passerelles sont créées entre les personnes et qu’on donne une chance à l’autre d’expliquer qui il est, plutôt que de se faire son interprétation erronée dans son coin, alors 80% du chemin est fait, et le discours du FN prendrait beaucoup moins bien.

Cette interview fut réalisée en tant que devoir universitaire.

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