Thursday, February 18, 2016

Face à la police américaine, être noir c'est être "présumé dangereux"

Face à la justice américaine, être noir c'est être « présumé dangereux »

La société américaine est encore en plein débat sur le sort des afro-américains face aux forces de police en 2016. Mais ce débat s'apparente de plus en plus à un dialogue de sourds.
La brutalité policière contre les afro-américains aux États-Unis porte toujours vivement à débat. Beyoncé a balancé une petite bombe médiatique avec son vidéo-clip « Formation », diffusé la veille de sa performance lors du spectacle à la mi-temps du Super Bowl, dimanche 7 février. Sa nouvelle chanson dénonce, entre autres, la brutalité policière envers les noirs dans le pays ; les réseaux sociaux se sont rapidement déchaînés. Certains internautes applaudissent le courage de la jeune femme pour son message politique, d'autres dénoncent une vidéo qu'ils estiment anti-police : preuve qu'il existe encore une vive disparité d'opinions, mais surtout d'expériences, sur la question.



A New York, des méthodes de profilage biaisées



L'ancien maire de New York (1994-2001), Rudolph Giuliani, a déploré le sentiment anti-police véhiculé, selon lui, par la vidéo de Beyoncé. Lors d'une interview sur Fox News le lendemain du Super Bowl, il parle d'un spectacle « scandaleux », où l'artiste « attaque les officiers de police qui la protègent ». 

Sous son mandat, cet ancien maire avait dû répondre d'accusations mettant en cause la police de New York, soupçonnée de profilage basée sur l'origine des citoyens pour les arrêter et les fouiller (« stop-and-frisk »). Le maire s'était défendu de tout racisme, expliquant que ces procédures étaient réalisées sur la base de statistiques de cas criminels en cours. Après l'examen des formulaires remplis par les policiers après chaque fouille, l'Unionpour les Libertés Civiles de New York (NYCLU) a montré que 9personnes sur 10 étaient complètement innocentes, sans relation avec aucun cas criminel. Parmi ces personnes arrêtées, 50% d'entre elles étaient de jeunes personnes afro-américaines, contre 30% de latinos et 10% de blancs.



Nick Curioli, 25 ans, est un ancien policier du département de New York. Cheveux courts, allure imposante, c'est un américain qui a une vision héroïque de la protection de ses compatriotes. Il fut très déçu de son expérience à la police, qu'il a quittée en 2013 : « Je trouvais que tout ce que le département nous disait de faire allait à l'encontre des droits des gens, et je n'avais plus l'impression de “protéger et servir” la population de New York. On ne faisait rien d'autre que d'abuser les citoyens. »



« On me demandait d'arrêter et de fouiller les gens sans raison, pour voir s'ils avaient des armes ou de la drogue, surtout les minorités ethniques. » se souvient-il. « J'ai parlé de mon malaise à mes supérieurs, qui m'ont simplement rétorqué "fais ton boulot, ou quelqu'un d'autre le fera à ta place". Partir m'a fait mal au cœur, mais mon intégrité en tant que personne est plus importante que n'importe quel travail. »



Ancien policier lui aussi, Redditt Hudson a raconté son histoire le moisdernier sur le Washington Post. « Je ne dirais pas qu'ils l'étaient tous, mais beaucoup de mes collègues étaient racistes », écrit-il. Aujourd'hui, il travaille au comité d'éthique de l'historique Association Nationale pour le Progrès des Gens de Couleur (NAACP). Il déplore que les policiers savent qu'ils ne seront tenus pour responsables de leur actes, favorisant leur mauvaise conduite.



Il se rappelle de la violence générale des policiers lorsqu'ils avaient affaire à des afro-américains. Il l'illustre avec un exemple : « Un jour nous sommes allés dans une maison, et un adolescent nous a ouvert. Le jeune homme a refusé que l'on entre, et mon collègue l'a attrapé par la gorge et mis à terre. Lorsqu'un autre collègue lui a demandé de se lever, le garçon a répondu qu'il ne pouvait pas ; il a été menotté et traîné par les chevilles jusqu'à la voiture de police. Il se trouve que ce garçon ne pouvait pas se lever, car il avait besoin de béquilles. Lorsque j'ai parlé de l'incident à mon supérieur, on m'a juste demandé de retourner à mon travail. »

Le candidat républicain Donald Trump est connu pour
ses propos racistes. Il donne ici un discours au CPAC 2011
à Washington, D.C./ Photo: Gage Skidmore / cc: Flickr


Un antagonisme qui se perpétue et se durcit



A l'image d'une scène politique américaine de plus en plus polarisée, ainsi en vont les questions sociales reprises par les politiques. « Nous avons subi des mois de propagande, qui ont commencé avec ce président, prônant qu'on devrait tous détester la police », déclara Rudolph Giuliani à cette époque l'an dernier. PunditFact, un collectif de journalistes en fact-checking, n'a relevé aucune déclaration du président Barack Obama menant à de telles conclusions.



Les violences à Ferguson, dans le Missouri, avaient marqué les esprits. Elles faisaient suite à la mort de Michael Brown, afro-américain de 18 ans non armé ayant succombé aux coups de feu du policier blanc Darren Wilson – qui n'a pas été accusé, faute de preuve absolument convaincantes (« beyond a reasonable doubt ») pour le grand jury.



L'ancien maire new yorkais avait réagi à ces soulèvements de cette façon : « Je trouve que c'est très décevant de ne pas parler des 93 pour cent de noirs en Amérique qui sont tués par d'autres noirs. On parle vraiment d'exception ici. » Cette statistique est vraie. Mais bien que 93% des meurtres de noirs soient réalisés par des noirs, 84% des meurtres de blancs sont réalisés par des blancs, selon une étude entre 1980 et 2008 du ministère de la justice du pays. Cela ne prouve pas grand-chose.



De fausses statistiques avaient été relayées par le candidat républicain à la présidentielle Donald Trump en fin d'année dernière – citant le « bureau de statistiques des crimes de San Francisco », qui n'existe pas. Le candidat avait retweeté une image où l'on pouvait lire que 97% des noirs étaient tués par des noirs, tandis que 16% de blancs étaient tués par des blancs, et seulement 1% de noirs tués par des blancs. Cette image provenait d'un compte Twitter pro-nazi : suite à cette découverte, le candidat a nié toute implication : ce n'est pas parce qu'il retweete quelque chose qu'il le pense, a-t-il affirmé. En attendant, le mal était fait, favorisant toujours plus une présentation très binaire de la réalité. ■

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Bryan Stevenson donnant un Ted Talk
en 2012 à Long Beach, Californie /
Photo: James Duncan Davidson / cc
Cette façon de voir binaire exacerbée n'est pas récente, prenant racine dans la société esclavagiste et raciste américaine. Bryan Stevenson est avocat et professeur de droit à New York University, et directeur de l'association de défense des droits de l'homme « Equal Justice Initiative ». Son livre « Just Mercy » dépeint les inégalités entre noirs et blancs dans le système judiciaire américain telles qu'il les a vues.



« On tend à se complaire dans notre idée d'un grand système judiciaire américain juste, alors que c'est de moins en moins le cas dans les faits », explique-t-il. « On aime se raconter des histoires qui rassurent. Or je pense que si on montre vraiment aux gens que le système fait preuve de grande discrimination, comme je l'ai constaté, les gens voudraient que ça change. » Selon lui, la plupart des gens ne s'imaginent simplement pas à quel point ce peut être pesant d'être « présumé dangereux » à cause de sa couleur de peau. « Il nous faut parler clairement, oser pointer du doigt le racisme, afin de confronter ce problème grandissant de préjugé qui est ancré jusque dans le système judiciaire de notre société. »



Bryan Stevenson se souvient avoir récemment défendu un client dans le Midwest : « Je suis arrivé un peu plus tôt que prévu au tribunal, attendant que ça commence. Le juge sort, suivi par les procureurs, et il me voit assis à la table des accusés. Il m'interpelle, ''Hé, retourne dehors, je n'admets pas les accusés dans mon tribunal sans leurs avocats''. Je me lève, m'introduis et lui dis que c'est moi, l'avocat. Il me dit ''Vous êtes avocat, vous ?'' et se met à rigoler, suivi par les procureurs. Je me suis forcé à rire pour ne pas desservir mon client. Après l'audition j'y ai repensé, et je me suis senti fatigué, fatigué d'une telle présomption de culpabilité – et j'étais inquiet qu'un juge puisse porter une telle présomption si près du cœur. Ça ne m'a que confirmé l'urgence de devoir changer notre discours.


Cet article fut écrit en tant que devoir universitaire.

Wednesday, February 10, 2016

Beyoncé's "Formation" Forces the US to Face Its Racial Issues

Beyoncé sings "best revenge is your paper" - Source: Youtube


Black Lives Matter, police brutality and colorism are all part of the latest Beyoncé Knowles video celebrating her Blackness. What does American society think of this reminder?

It hit where it hurts. Beyoncé's new “Formation” video, released on the eve of her performance at the Super Bowl's halftime on Sunday, is highly political. It stands in support of the Black Lives Matter movement when the singer denounces police brutality towards African Americans. In the video, a young boy dances in front of armed police officers before we see a “Stop Shooting Us” graffiti; the police officers then put their own hands in the air. This gesture echoes the (controversial) posture of surrender of 18-year-old Michael Brown when he was shot by the police in Ferguson two years ago. Hands up, don't shoot” then became a protest rallying cry, taken up by Black Lives Matter.


Beyoncé's video also reminds us of the Hurricane Katrina catastrophe, when she sits on top of a police car in the middle of a flooded land, before sinking together with the car at the end. In 2005, Katrina left New Orleans severely wounded, with more than one thousand dead. While the hurricane could not be avoided, the weak and slow means employed to counter it posed the question of reactivity from the federal government when it comes to Black populations.


A well-timed performance sparking strong reactions


Beyoncé's political statement was all the more powerful and controversial that it came from a $54.5 million African American star, and that she has previously been accused of whitewashing her image for promotional purposes. With this video, she seems to be affirming her Black identity and engagement. The video's release and Super Bowl show were also rightly timed with this year's Black History Month, celebrating important people and events in the history of the African diaspora. Ms Knowles, who also announced a “Formation” world tour on Sunday, sparked a lot of reactions on social media within hours of the video's publication on Saturday. According to some, it was inappropriate to politicize during the Super Bowl, and her video was too much anti-police, thereby polarizing further the American society:






Others saluted her for voicing African Americans' struggles and taking pride in her Blackness:




Anti-police criticisms of Beyoncé's video might just be a means to shift the focus of the argument. The “Formation” video does not target the police as a global entity. Neither is the video anti-White. Rather, “Stop Shooting Us” targets no more than police brutality towards the African American community – which is not all of the police. Pro-Black does not mean anti-White.


Just like the controversy over whether Michael Brown really had his hands up in the air or not, this is merely a detail that can not discredit a whole movement based on rightful indignation of the targetting of African American communities in the country. The Michael Brown shooting was not an isolated case, and the “Hands up, don't shoot” rally, whether based on a true story or not on that day, is more of a symbolical rally describing the fears of the Black community.


The police and African Americans


A public figure also thought this video was anti-police: Rudolph Giuliani, former Mayor of New York City. In a Fox News interview, he condemned Beyoncé for using the show to “attack police officers who protect her”. This was the man who had to answer for New York Police Department racial profiling through the scourge of stopping and frisking predominantly people of color. His explanation was that such procedures were done based on crime statistics and people more likely to carry guns in certain areas. But some studies have shown that less than a third of suspects stopped and searched in New York City are picked out because they have been identified by victims.


Profiling issues have been a problem for decades. It was under another mayor's leadership, Michael Bloomberg, that former NYPD officer Nick, a 25-year-old from Connecticut, quit his job and became the head of security in a luxury brand store in the city. He recalls why he decided to leave his job: “The department's command was going in a direction that I really didn't agree with.”


“I felt like a lot of what they are doing violates the rights of the people and I no longer felt like I was "protecting and serving" the people of New York. I felt like a storm trooper from Star Wars. We were doing nothing but abusing the citizens. I was told to stop people at random and pat them down for weapons or drugs even if they did nothing wrong, especially minorities. I spoke to my Captain and my superiors about how it didn't feel right and I was just told: "do your job, or someone else will." It felt terrible leaving, but my integrity as a person was more important than any job I would ever do. I used to feel like I was doing something good and noble. America is changing, and it isn't good.”


Criticism from the African American community


Another criticism came from doctor Yaba Blay, Dan Blue endowed chair in political Science at North Carolina Central University who researches skin color and identity politics. Being a dark-skinned African American from New Orleans, she was disappointed in the fact that a Black woman like Beyoncé would make a distinction between “Negro” and “Creole”. Creoles descend from a mixture of African, French, Spanish and/or Native American people and tend to distinguish themselves racially from “regular Negroes” by putting forward their whiteness.


Ayanna Legros, born to Haitian parents and graduate student in Africana Studies at New York University, is well aware of this problematic aspect of Beyoncé's video. She also acknowledges the fact that Beyoncé had to “sell out” first in order to acquire such a platform from which to speak: “It's a sad truth, but many black folks have to sell out before getting to a place and space where they can actually say what is on their mind. It happens in the music industry, sports industry, and even academia.” Beyoncé herself seems to be denouncing this when she sings “I see it, I want it, I stunt, yellow-bone it” (yellow-bone being the lightest type of light skinned black female).


Still, she welcomes this video: “Whether or not you like it, Beyoncé got America talking about Katrina, artistry, ‪Black Lives Matter‬, black identity, etc in less than 24 hours. She started the conversation. I have realized that nothing anyone will ever do will please everyone. But it's about starting the conversation. Period.” Just like Beyoncé says herself at the end of her song: “You know you('re) that b**** when you cause all this conversation; Always stay gracious, best revenge is your paper”.


This article was written as a university assignment.