Sunday, May 4, 2014

Soirée hardcore à la Miroiterie

Pour les connaisseurs, il s'appelle « le Miroit' ». Situé au 88 Rue de Menilmontant dans le 20° arrondissement, ce squat artistique est le plus vieux de Paris, régulièrement menacé de fermeture. Toujours en activité, avec quelques concerts ça et là et un site internet pas forcément très performant, ce squat ne bénéficie pas de publicité comme le médiatisé 59 Rivoli, et ne s'adresse au contraire qu'à un petit club de connaisseurs, adeptes du bouche-à-oreille ; néanmoins il fait partie intégrante de la culture underground de Paris.

Effectivement, le lieu ne paie pas de mine. Un petit couloir extérieur sans lumière nous mène à une cour intérieure taguée et tarabiscotée où une cinquantaine de personnes discutent, bière à la main. Il est 20h30, le concert (24 mars 2014) est prévu depuis un quart d'heure mais ne commencera pas avant une demi-heure. Sylvain, qui m'a fait découvrir le squat, et son ami Cyril saluent leurs connaissances et entament la conversation.

Cyril revient tout juste d'un concert qu'il a aidé à organiser dans un squat à Birmingham. L'expérience fut hautement décevante : « Niveau organisation ils sont vraiment nuls. Quand je suis arrivé là-bas, le gars qui organisait le truc devait avoir 22 ans, un gamin. C'était sûrement papa-maman qui lui avaient donné des sous pour faire ça, et voilà, le mec avait aucune expérience. Plus jamais je refais ça. À la limite à Londres, ça peut passer, mais le reste c'est pas possible. » Pourtant, la culture underground anglaise est réputée mondialement, ce à quoi me répond Sylvain : « Et oui, mais ça devait être il y a 15 ans. Maintenant, les soirées les mieux organisées ressemblent à celle-là... Par contre en Allemagne, rien à voir, c'est le top. Ils te font des tampons sur la main, préparent un bac de bouchons d'oreille à l'entrée, etc... Vraiment bien, ces allemands. Ils sont doués niveau organisation, et puis ils ont aussi une forte culture de musique hardcore et de squats là-bas. » En effet, qui n'a pas entendu parler des fameux 
squats artistiques de Berlin ?

Côté population, il y a de tout à la soirée : punks, grunges, certains au look plutôt rappeur. D'autres encore ont l'air parfaitement « standard », à la limite du geek – une étiquette qui s'efface bien vite dès lors qu'on les voit se déchaîner, bras et jambes dans tous les sens, au rythme des basses du groupe de musique hardcore. Certains sont RMIstes, d'autres ont des jobs dans l'informatique, d'autres encore travaillent avec les enfants. C'est le cas de Sylvain, 30 ans, un grand bonhomme très calme animateur de centre de loisir, bientôt directeur. Il me dit : « C'est vrai que ce soir c'est très mixte, comme soirée, et il y a pas mal de filles d'ailleurs. Mais sinon il y a des codes pour chaque style, quand il y a des soirées plus thématiques : un soir il y aura tous les « gangstas », un autre tous les grunges, etc... c'est marrant. »

Sylvain me fait également part des difficultés grandissantes à organiser des concerts, lui-même en ayant monté un avec son ami Cyril l'an dernier. De plus en plus de salles ferment, augmentant le prix de celles qui restent – tout comme les péniches, qui jusqu'ici représentaient une alternative sympathique au squat : « C'était sympa, on était sur les quais de la Seine, à l'air, on pouvait se balader le long, c'était convivial. C'était bien d'avoir un changement de paysage et d'ambiance comme ça de temps en temps. » Auparavant les tarifs d'une location de péniche avoisinaient les 500 euros la soirée ; maintenant, cela a grimpé jusqu'à 800 euros. Ainsi le Miroit' reste la solution de repli, une valeur sûre ; mais malgré son charme grunge, même les fans de hardcore apprécient la diversité : « Du coup c'est vrai qu'on fait plus de concerts ici, puisque c'est un des endroits qui restent le plus disponible et abordable financièrement. Mais bon, à force, on connaît... c'était bien d'avoir la possibilité d'un changement de décor, avant. »

Des essais de micro et d'amplis se font entendre de l'extérieur, un morceau commence, et les gens s'engouffrent peu à peu dans la salle taguée. Sur le balcon intérieur faisant face à la scène se trouvent quelques personnes du staff, et un spot de lumière bougé à la main pour rendre quelques effets basiques durant le concert : tout est économe et sans machinerie superflue, ajoutant à l'aspect d'entre-soi du concert où presque tout le monde se connaît. J'aperçois également un trou dans le mur à droite de l'entrée de la salle, visiblement fait en deux temps trois mouvements avec une pioche : Sylvain m'explique que c'est pour permettre aux tenants du bar à l'extérieur de profiter aussi du concert. Un trou similaire se trouve dans les toilettes, donnant sur l'extérieur, pour que ceux qui y sont puissent continuer de parler avec les gens de dehors tout en ne découvrant que leur tête.

Bien que ce type de musique hardcore et les types de danses qui l'accompagnent aient l'air d'être violentes, l'ambiance est toujours bon-enfant. Ce que Sylvain appelle en plaisantant la danse « kung fu » qu'il pratique, c'est le « Mosh Pit » : une sorte de mélange de pogo, de Capoiera et de Free Fight, où les bras et les jambes volent dans tous les sens. C'est en fait plus un moyen de se défouler librement, puisqu'il est interdit de frapper les gens avec l'intention de faire mal, et que tout le monde s'entraide à se relever en cas de chute : et en effet, pas une fois n'ai-je vu quelqu'un ne pas avoir le sourire. Cyril me raconte : « Là ça va parce que tout le monde se connaît ; mais même des fois quand il y a des petits clashs, ils sont vite désamorcés. Par contre, côté physique, c'est sur que ça peut être dangereux : j'ai des potes qui se sont déjà fait casser des bouts de dents... J'en ai même un qui amène des prothèses dentaires aux concerts, comme au rugby ! »

Les premiers à passer sont un groupe nantais, Elephants, et mettent déjà bien l'ambiance. À première vue, on comprend mal les moments où tout le monde se met à danser violemment au centre de la pièce – et on est surpris étant donné que cela survient plutôt soudainement et sans crescendo annonciateur. Puis l'on finit par observer que l'élément déclencheur de ce déchaînement des passions est un ralentissement du rythme : en cela c'est véritablement une sous-culture, avec ses propres codes vestimentaires et pratiques rituelles.

Lors de la pause entre le premier et le deuxième groupe (Wolfpack, également français), tout le monde se rejoint dehors pour discuter. À un moment, quelqu'un en tenue et chapeau noirs nous distribue des tracts pour un concert qu'il a organisé – la meilleure publicité qui existe pour ce genre de concerts. Une fois éloigné, Sylvain me glisse à l'oreille : « Lui tu vois, c'est le bobo du hardcore. Il a des sous et il veut les mettre dans ce qu'il organise pour que ce soit bien fait – donc c'est bien, mais bon, c'est du genre chacun doit avoir sa serviette et tout, il est très old school hardcore on va dire. Mais là ça dénature même un peu le truc, au final... c'est juste trop. » Et bien, jamais je ne me serais doutée qu'il existait des « bobos du hardcore ».


Mais l'on me dit que le Miroit' va bientôt fermer. C'est une rumeur régulièrement entendue et recyclée depuis années ; seulement « cette année il y a vraiment beaucoup de pression », m'affirme Cyril. « Apparemment il y a des propriétaires qui voudraient racheter et retaper le bâtiment pour en faire une résidence universitaire, parce que les gens du quartier se plaignent du bruit. Mais honnêtement avec des étudiants à côté, ce sera pas simplement une soirée hardcore de temps en temps, mais des soirées étudiantes bruyantes toutes les semaines, je sais pas s'ils vont gagner au change... ! Je comprends vraiment pas pourquoi ils font ça. » Le Miroit', outre l'un des plus anciens squats de Paris (et intra-muros), est surtout l'un des rares à ne pas avoir été encore fondamentalement dénaturés – le prix en étant justement sa condamnation.

Cet article fut écrit pour ce blog uniquement.

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