La décision du gouvernement Ford de réduire le financement
aux services d’aide juridique pour les plus démunis fait rage dans l’Ontario
aujourd’hui.
Les coupes budgétaires annoncées en avril dernier se
traduisent par une baisse du financement public d’Aide juridique Ontario (AJO)
de 30%, soit 133 millions de dollars de moins, soit près des trois
quarts de son budget annuel.
Le gouvernement leur interdit également d'utiliser
son financement provincial pour traiter des cas de réfugiés ou de nouveaux
arrivants.
Durant cette journée d’action organisée par l’Association
des cliniques juridiques communautaires de l'Ontario (ACJCO), de nombreuses
cliniques d’aide juridique ont dénoncé ces coupes budgétaires lors d’une
cinquantaine d’événements à travers toute la province.
L’AJO, qui fournit des services juridiques aux individus
moins nantis, parle d’un vrai coup dur, notamment pour les francophones qui
s’installent ou qui sont déjà établis en Ontario. Au cours de la dernière
année, quelques 5000 clients ont reçu des services en français.
Des conséquences pour les plus marginalisés
La Commission de l'immigration et du statut du réfugié du
Canada a déjà noté que cette décision entraînera des retards et d'autres
perturbations des activités entourant les demandes de statut de réfugié dans la
province.
C’est une inquiétude partagée par beaucoup d’experts et membres de la
profession, comme le Barreau de l’Ontario, qui craint une incidence de ces
compressions sur les Ontariens vulnérables, qui ont besoin d’aide juridique mais
qui n’ont pas les moyens d’en obtenir.
Avvy Go, directrice de la Chinese and Southeast Asian Legal
Clinic (CSALC), explique ainsi que nombre de leurs clients sont des personnes
dans des situations précaires tels que des employés de restaurant ou de salon
de manucure sans représentation juridique et abusés par leur employeur, ou
encore des locataires expulsés par leur propriétaire.
« En plus d’être dans de telles situations précaires, ces
personnes parlent souvent peu ou pas anglais, ce qui présente un autre obstacle
pour eux pour avoir accès à des services juridiques », explique-t-elle.
« Si nous ne sommes plus en
mesure d’offrir des services juridiques à cause de ces coupes budgétaires, ces
personnes ne pourront plus se tourner vers qui que ce soit. Ils ne vont pas trouver
de l’aide vers leurs députés : la plupart de ces clients nous sont déjà
transférés par les députés. »
Xem Truong, par exemple, explique via un interprète qu'il est arrivé au Canada en 1994 en tant que réfugié d’un camp
en Thaïlande, et est à présent un citoyen canadien. Selon lui, les services de
l’AJO sont cruciaux pour que les personnes dans des situations financières
précaires comme lui puissent avoir le sentiment d’être protégé quoiqu’il
arrive.
Mais cette coupe budgétaire crée de grandes pressions pour
les services, ainsi que pour le personnel.
Avvy Go explique qu’à l’heure
actuelle, sa clinique doit aviser entre soit diminuer son personnel et donc sa capacité
à offrir des services aux plus démunis, soit potentiellement devoir sous-louer
une partie de leurs locaux afin de pouvoir payer leur personnel avec cet
argent.
Un impact au-delà des services juridiques
Annette Trepanier, présidente du Conseil d’Administration de
la clinique juridique bilingue Windsor-Essex, explique que ces compressions ne
concernent pas uniquement le budget, mais aussi des coupures au niveau des
services que le gouvernement va leur fournir.
En effet, c’est un impact qui se reflète jusque dans le milieu de
l’éducation, selon Ruth Goba, directrice en chef du Black Legal Action Centre
(BLAC) en Ontario :
« Ces coupes budgétaires ont aussi pour effet d’éliminer les
goûters dont les enfants des milieux défavorisés ont besoin pour passer la
journée à l’école. Ce sont des conséquences sur tout le secteur des services
publics: tous les Ontariens devraient être inquiétés par cette décision »,
lance Mme Goba.
Par ailleurs, le financement d’un programme d'aide destiné à
prévenir l’expulsion de jeunes élèves issus des communautés culturelles dans
les écoles publiques d’Ottawa a également été touché, et a pris fin en raison
des compressions du gouvernement Ford.
L'AJO, qui finançait le programme dans le cadre de sa
Stratégie sur les communautés racialisées, affirme disposer cette année des
fonds nécessaires seulement pour les programmes à Toronto.
La province rejette la faute sur le fédéral et l'absence de résultats
Selon le ministre du Développement économique Vic Fedeli,
l'argent accordé aux cliniques juridiques a été dépensé sans toujours donner de
résultats.
Le ministre s'attend également à ce que le fédéral finance
les services juridiques de la province.
L'aide juridique disposera d'un budget
de plus de 430 millions de dollars cette année, et encore plus si le
gouvernement fédéral s'engage à financer adéquatement les services dont il est
responsable, a écrit son porte-parole dans un courriel à Radio-Canada.
Ces coupes ne vont pas s’arrêter là, puisque d’autres
coupures sont à prévoir d’ici à 2020-2021: la province compte réaliser ainsi
des économies annuelles de plus de 164 millions de dollars à compter de
2021-2022, selon le document du budget de l’Ontario.
Pourtant, le juge en chef de la Cour suprême, Richard
Wagner, a déjà souligné que des recherches menées aux États-Unis, au
Royaume-Uni et en Australie ont révélé que chaque dollar consacré à l’aide
juridique rapporte 6 dollars aux gouvernements.
Quoiqu’il en soit, Amy Lavoie, avocate à la Clinique
juridique bilingue de Windsor-Essex, reste positive quant à un retour du
gouvernement Ford sur leur décision : « On a de l’espoir. On voit déjà que le
gouvernement ontarien a réfléchi à certaines décisions qui avaient été prises
avec le budget sorti en avril 2019, donc on ne peut jamais perdre espoir. »
Cet article a été édité et publié sur CBC/Radio-Canada