L'expression arme
de poing a sa définition dans la loi, mais il n'existe pas de définition juridique
des termes « fusil d'assaut » ou « arme d'assaut » au Canada.
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Un fusil d'assaut. / Picture: Piqsels/Creative Commons |
Toronto est en
tête du palmarès des villes où sont commis le plus de crimes violents liés aux
armes à feu au pays. Le gouvernement fédéral prépare un projet de loi afin de
bannir les armes d’assaut, mais 60 % des armes saisies par la police en
lien avec un crime à Toronto sont des armes de poing, pas d'assaut.
« Bien que
les armes d’assaut représentent une grande dangerosité [...], elles ne
sont pas aussi répandues que les armes de poing », confirme Francis
Langlois, spécialiste de la culture des armes à feu et professeur d'histoire au
Cégep de Trois-Rivières, au Québec.
Francis Langlois
note que, bien que les armes dites d’assaut soient plus létales étant donné la
façon dont elles sont fabriquées, il reste que dans de grandes villes comme
Toronto ou Montréal, ces armes « difficiles à cacher et à obtenir » sont
moins souvent utilisées dans les crimes que des armes de poing.
Le service de
police de la Ville Reine a saisi un total de 831 armes utilisées dans les
crimes en 2018 (comprenant des armes à feu, mais aussi des pistolets-jouets et
des fusils à air comprimé).
De ces armes,
58,5 % étaient des pistolets, revolvers et pistolets de poche – qui
tombent sous la définition d'armes de poing. Si l'on ajoute les fusils et
carabines à canon scié – armes modifiées pour être manipulées à une main,
c'est-à-dire aussi facilement qu'une arme de poing dans les faits – le
pourcentage monte à 63,7 %.
Selon Statistique
Canada, 57,4 % des homicides perpétrés avec une arme à feu dans tout le
pays en 2018 ont été commis avec une arme de poing – un pourcentage qui
augmente à 64,7 % si l'on inclut les fusils et les carabines à canon scié.
À noter que
certaines armes automatiques ou semi-automatiques peuvent aussi être manipulées
avec une main, selon le modèle.
Pas de définition légale des armes d'assaut
« Comme
promis aux Canadiens lors de la dernière élection, nous allons interdire les
armes d'assaut de type militaire », a indiqué le ministère de la Sécurité
publique et de la Protection civile par écrit à Radio-Canada.
« Forts des
conseils avisés du Programme canadien des armes à feu, nous fournirons plus de
détails en temps voulu. » Le ministre de la Sécurité publique, Bill
Blair, dit être en train d’élaborer une liste d'armes qui seront prohibées.
Mais alors que
l'expression arme de poing a sa propre définition dans la loi
canadienne, il n'existe pas de définition juridique des termes
« fusil d'assaut » ou « arme d'assaut » au Canada. « Par
conséquent, le PCAF [Programme canadien des armes à feu, NDLR] ne maintient
aucun de ces deux termes comme catégorie de classification pour la saisie et la
communication de statistiques sur les armes à feu », selon la Gendarmerie
royale du Canada (GRC).
Il est ainsi
difficile de déterminer le réel impact des armes d'assaut de type militaire dans
les crimes commis à l'échelle du Canada à l’heure actuelle.
« Ce qui
sert dans certains crimes aux États-Unis – on ne l’a pas trop vu au Canada
encore – ce sont des armes dites d'assaut, militaires. Comment le définir au
Canada? Il faudra trouver la définition idéale avant de penser à les bannir »,
estime François Doré, ancien policier à la Sûreté du Québec.
Approche locale d'un problème national
Quant aux armes
de poing, le gouvernement souhaite laisser aux municipalités le soin de les
réglementer.
« Nous
comprenons que chaque ville et chaque province a des besoins et des
préoccupations spécifiques, et notre plan est de travailler avec les provinces
et les municipalités en les autorisant à adopter des exigences supplémentaires pour
restreindre l'entreposage et l'utilisation des armes de poing sur leur
territoire », a répondu le gouvernement fédéral par écrit à Radio-Canada.
Cela
changerait-il quelque chose au trafic des armes à feu?
« Absolument
pas », répond l'ancien policier François Doré. « Ce ne sera pas
très efficace de le faire de cette façon-là », renchérit le professeur
Francis Langlois.
Même son de
cloche à l’hôtel de ville de Toronto. La conseillère municipale Kristyn
Wong-Tam croit qu’une « interdiction nationale des armes de poing » est
nécessaire.
« J’ai
l’impression que le gouvernement libéral veut ménager la chèvre et le chou dans
la mesure où il applique une espèce de fédéralisme asymétrique », pense
Francis Langlois.
« En
laissant aux villes le soin de réglementer, [le gouvernement] se dit peut-être
que [...] dans l’Ouest par exemple, où les gens sont plus ouverts à la
possession d’armes à feu et potentiellement d’armes de poing ''on réglementera
de la façon dont on l’entend et dans l’Est et au centre du Canada, on pourra
réglementer de façon plus stricte''. »
Francis Langlois,
qui est également membre associé à l'Observatoire des États-Unis de la Chaire
Raoul-Dandurand, souligne que les interdictions locales ont déjà été essayées
sans vraiment fonctionner : il n’y a qu’à regarder chez nos voisins du
Sud.
« Par
exemple, ils ont interdit la vente d'armes à feu et le port d'armes et toutes
sortes de choses sur le territoire de Chicago, mais d'immenses magasins se sont
installés en périphérie de la ville. Et on le voit dans les études qui traitent
des armes retrouvées sur les lieux de crimes, ces armes viennent beaucoup de la
périphérie. »
- Francis Langlois,
professeur en histoire au cégep des Trois-Rivières
Il y a bien sûr
des différences avec les États-Unis. Les armes sont mieux régulées au Canada
qu’aux États-Unis, ce qui explique en partie le taux moindre d’homicides – et
de suicides – par arme à feu au Canada en comparaison.
Toronto demande que le fédéral interdise les armes
de poing
Lors de la
réunion du conseil municipal du 26 novembre, la motion HL11.1 a été adoptée.
Elle exhorte le gouvernement fédéral à bannir les armes de poing au pays, et
demande à la province d'interdire la vente de munitions à Toronto et de
renforcer la législation sur la vente d'armes à feu.
En effet, les
conseillers eux-mêmes ne croient pas en une interdiction municipale comme le
propose le gouvernement fédéral.
« De ce
que je comprends, beaucoup d’armes de poing sont déjà illégales et interdites,
et sont importées dans notre ville pour commettre ces crimes. Que faisons-nous
à ce propos? Je n’en sais rien. »
- Josh Matlow,
conseiller municipal de Toronto-St.Paul's
Kristyn Wong-Tam,
conseillère municipale de Toronto-Centre, renchérit : « Quand on
pense au fait qu’on ne peut déjà pas réglementer le bruit dans la ville de
Toronto, il n’y a aucune chance pour que nos agents chargés de l'application
des lois puissent réglementer les armes de poing. »
« Nous
devons mieux comprendre ce problème et donner un cadre à cette discussion »,
a pour sa part déclaré Michael Thompson, le conseiller de
Scarborough-Centre, « car honnêtement, cela fait 17 ans que je
suis ici et 17 ans plus tard, on pose encore les mêmes questions et on
parle toujours du même problème ».
Une facilité d’accès
Un des éléments
problématiques, selon François Doré, est la facilité avec laquelle ces
armes-là peuvent être acquises partout au Canada, qu'elles viennent de
l'intérieur du pays ou des États-Unis.
Selon la GRC
(Gendarmerie royale du Canada), « le Programme canadien des armes à
feu (PCAF) ne recueille ni ne suit de statistiques sur l'origine des armes à
feu illégales ou volées ». Seuls les services de police concernés le font.
« Les
processus et/ou les politiques peuvent différer d'un service à l'autre, de même
que les exigences en matière de déclarations », précise la caporale
Caroline Duval, de la GRC.
Limiter la prolifération
d’armes « prend de la réglementation, oui, mais ça prend des services
policiers qui sont efficaces, qui vont pouvoir saisir ces armes-là », dit
François Doré.
Dans une réponse
écrite à Radio-Canada, le bureau du ministre de la Sécurité publique et de la
Protection civile rappelle les investissements réalisés par le gouvernement
pour lutter contre la violence armée.
« Nous
avons investi 86 millions de dollars dans l'ASFC [Agence des services
frontaliers du Canada] et la GRC pour lutter contre le trafic d'armes à feu et
65 millions de dollars en Ontario pour des initiatives visant à prévenir
et à combattre la violence armée et les gangs. »
- Le ministère de
la Sécurité publique et de la Protection civile
L’achat d’armes
par le biais de personnes avec un casier vierge qui les revendent sur le marché
noir semble en tout cas prendre de l'ampleur.
Justin Green, un
ancien étudiant en philosophie à l'Université de Toronto, a acheté légalement 23 armes de poing sur une période de 22 mois à compter de 2011, dont
15 d'un seul endroit, puis les a revendues illégalement.
La même année,
Andrew Winchester a acheté 47 armes de poing dans la région de Toronto au
cours d'une période de six mois et les a vendues sur le marché noir pour un
montant pouvant atteindre 100 000 $.
Wes Winkel,
propriétaire du magasin d'articles de sport Ellwood Epps à Severn, en Ontario,
indique que les détaillants tiennent déjà des registres de vente depuis des
années, mais que les autorités n'utilisent pas efficacement cette information
pour repérer rapidement les acheteurs frauduleux. « Pour une raison
quelconque, le temps qu'il faut aux forces de l'ordre pour identifier un
acheteur agissant en tant que prête-nom est trop long. »
Jusqu'au 9 décembre
de cette année, il y a eu 458 fusillades à Toronto, soit 20 % de plus
que l'an dernier.
Cet article a été publié sur CBC/Radio-Canada