La
culture pour contrer le FN
Saint-Loup-sur-Semouse
est une commune de Haute-Saône, en Bourgogne-Franche-Comté, ayant
voté majoritairement Front National après avoir été socialiste
depuis 2004. Selon le maire de la ville, Thierry Bordot, le manque de
culture et la misère sociale ont grandement contribué à la montée
des extrêmes dans cette commune de 3 500 habitants.
Saint Loup a
voté à 35% pour le FN au deuxième tour. Etes-vous surpris de ces
résultats ?
Pas du tout. On commençait
déjà à sentir des signes avant-coureurs, surtout depuis 2002 qui a
été un tournant : du moment où Le Pen est passé au deuxième
tour des présidentielles, les langues se sont déliées et on ne se
cachait plus d’être Front National. Certes, aux régionales de
2010 Saint-Loup était encore PS, mais on commençait déjà à voir
le FN monter et monter. Maintenant, les gens d'extrême-droite ne se
cachent tellement plus de leur position qu'on pourrait quasiment les
recenser à l'aide d'une carte !
Pouvait-on s’attendre
à ce que le revirement républicain du deuxième tour n'affecte pas
Saint-Loup ?
On a bien senti cet
élan ici aussi, si, le PS est arrivé deuxième grâce à cela :
le taux de participation est passé de 41 à 51%, plus élevé que
celui de 2010 de 46%. Mais ça n’a pas suffi. Le danger avec les
appels à « voter utile », c’est qu’on ne peut pas
prévoir pour qui les gens vont voter… La preuve en est que le FN
est resté en première place dans de nombreux villages de notre
communauté, qui comprend 42 communes. Saint-Loup n’est pas la
pire, bien qu’ayant voté à 35% pour le FN : trois ou quatre
communes on voté à gauche, trois ou quatre à droite, et tout le
reste a viré au FN, certaines avec plus de 50% des voix (ndlr :
la commune de Ainvelle a par exemple voté FN à 52%).
La question de
l'immigration à Saint Loup a-t-elle joué un rôle dans ces
résultats extrêmes ?
Je tiens à souligner que,
selon moi, c’est par la culture et la communication qu’on peut
contrer cela – le dialogue, c’est de la culture aussi. Mais ça
va être un travail de longue haleine, et on en aura pour un bon
moment. Pour vous donner un exemple, on voudrait créer une
médiathèque intercommunale basée à Saint-Loup. Si le financement
n’était que le problème de ce projet, ce serait bien ; mais
le problème principal vient des deux tiers des élus eux-mêmes, qui
me répondent « à quoi ça sert ? » ; « on
a d’autres priorités ». Il n’y a pas d’ouverture, pas de
maturité de leur part. Chacuns se retranchent derrière leurs
craintes, et aucun dialogue n’est créé, seulement une
polarisation des positions de chaque côté.
Comment amener ce
dialogue ?
La relation à l’autre
devrait être une priorité. Après les attentats de janvier, on
voulait tous créer des ponts entre les communautés… et puis tout
ça est retombé dès février. Aujourd’hui, il est encore un peu
tôt pour dire cela des attentats de novembre, ceci dit les élections
ont eu ce bon côté de mettre véritablement le doigt là où ça
fait mal. J’ai rendez-vous mi-janvier avec les responsables de la
mosquée pour parler d’idées de manifestation commune. Je pense
par exemple à une sorte de conférence pour expliquer les fondements
de l’islam, ou bien expliquer la radicalisation – afin de
différencier les deux, et de poser leurs fondements qui ne sont pas
les mêmes. Il faut placer ces repères en premier lieu, pour ensuite
créer un dialogue qui soit cohérent. Ce genre de manifestation doit
se passer absolument au niveau local, au-delà du national – pour
que les gens se rencontrent vraiment, et arrêtent de fantasmer à
travers l’écran du JT. Si des passerelles sont créées entre les
personnes et qu’on donne une chance à l’autre d’expliquer qui
il est, plutôt que de se faire son interprétation erronée dans son
coin, alors 80% du chemin est fait, et le discours du FN prendrait
beaucoup moins bien.
Cette interview fut réalisée en tant que devoir universitaire.